Bander

 

 

Katrin Alexandre propose à nos plumes le thème “ Qu’est ce que bander ? ”.

        

         Physiquement, c’est presque gênant ce machin qui se redresse, parfois de manière inopportune. A moins d’être offert à des lèvres amoureuses et gourmandes, à des caresses habiles agaçant son érection, ou d’être enfoncé au plus profond d’un ventre accueillant. Quant aux orgasmes qui en résultent, les plus intenses, physiquement, sont ceux que je m’offre tout seul. J’insiste sur le “ physiquement ” restrictif, car si les orgasmes offerts par la Veuve Poignet sont  intenses, ce ne sont pas eux qui laissent les meilleurs souvenirs.

 

         Bander  (je n’aime pas ce terme vulgaire)  c’est aussi un état mental. C’est un état de désir physique et, j’oserai écrire, spirituel, qui nous prépare à quitter notre carapace, à jeter le masque du rôle social, à nous ouvrir aux autres, à joindre à d’autres nos délicates muqueuses. La communication charnelle, qui contrairement à la communication verbale ne permet pas de mentir, nous fait goûter quelques miettes d’infini (ce que L.F. Céline a dit de façon particulièrement stupide).

 

         J'irai presque jusqu'à dire que l’orgasme est une satisfaction physique comparable à celle que j'éprouve à vider ma vessie. Ce qui compte, c’est l’insatisfaction, c’est l’attente de la prochaine rencontre, c’est de me préparer aux  réactions, même imprévues, de l’autre. C’est la lente découverte de son corps, les yeux fermés pour mieux le goûter avec la langue, le nez, la peau. Pour découvrir ses odeurs, sa chair chaude ou fraîche selon les endroits, onctueuse ou musclée, pour trouver les parties du corps où la peau est la plus soyeuse. Pour sentir ce corps s’ouvrir aux caresses et y promener ma langue. Tout cela compte plus que la brève giclée de foutre. C’est ce foisonnement de sensations et non pas elle, qui s’imprime dans mes neurones.

 

         Et pourtant le mental, les caresses et les jeux de langues ne suffisent pas s’il ne sont pas soutenus par une solide érection. Il y a comme de l'impératif catégorique là-dedans : "Sans érection, rien de bon". Je le ressens douloureusement quand l'érection me vient à manquer. Le vrai désir, profond comme une force de la nature me délaisse, il ne me reste que le plaisir trop esthétique de contempler de jolies formes à distance. Tristement je m’aperçois parfois que les jolies filles en tenue légère ne m’excitent plus. Plus autant qu'avant. En ai-je trop vues sur Internet ? C'est le désir qui colore la vie et incite à continuer l’aventure. Le goût de la vie, comme la bandaison (G. Brassens dixit),  ne se commande pas. Et ne s’achète pas sur catalogue.

 

         --   Ce n’est pas grave, tu es fatigué, tu travailles trop, ce sera mieux la prochaine fois.

         Oui je travaille trop à écrire des articles de physique. J’ai même entrepris d’écrire un livre sur mes recherches. Mais tout cela n’est qu’une fuite. Gratter du symbole mathématique me permet d’oublier le reste, c'est-à-dire le vide qui se creuse en moi, la sourde angoisse qui me ronge. Je n’ai pas lu un roman depuis des années, je ne vais plus au cinéma, et les amours des autres m'ennuient profondément, même si leurs galipettes amusent le voyeur que je suis toujours. Je me sens hors du coup. Cette absence de désir et de goût de la vie m’isole, je vois le monde comme à travers une vitre. Si un médecin me trouve un cancer, je ne m’en soucierai guère. Ma vie est un film trop long. Tout cela je ne le raconte à personne.  C'est peut-être pareil pour beaucoup d'autres. Je me cache derrière mon travail qui donne un sens social à mon existence, à défaut de m'aider à lui trouver un sens personnel.

 

         Mes érections matinales sont moins fortes “ qu’avant ”. Avant quoi d’ailleurs ? Et le soir, les petits films de bordels que je me passais dans la tête, peuplés de nymphettes en dentelles rouge et noire ne me servent plus à rien.  La raideur est un indicateur de santé physique et mentale ! Quand on se préoccupe de sa santé, c’est mauvais signe.

 

         J’accepterais sans hésiter un pacte avec quelque Diable, qui comme dans “ la Peau de chagrin ” ou “ le portait de Dorian Gray ”, me permettrait d’échanger quelques années de vie contre un retour du désir. 

 

Peut-être un jour vais-je rencontrer une sirène à peau noire et satinée, et aux orgasmes volcaniques qui réveillera en moi ce goût de la vie qui s’éloigne, qui me fera vivre des moments exaltants.

 

Alain Valcour