Éloge de la cellulite

 

La mode ne m’intéresse que courte et transparente. Des défilés de haute couture je ne regarde que les seins à peine voilés des soies les plus fines ou effrontément dénudés, et les cuisses qui jaillissent, nerveuses et nues, de robes astucieusement fendues ou que découvrent des shorts minuscules. Et je me prends à rêver que la haute couture érotique descende bientôt dans la rue.

Rêver ne m’empêche pas de pester. Pourquoi ces femmes si habilement déshabillées s’appliquent-elles à tout gâcher par des regards de zombies, une démarche d’automate et une affligeante maigreur ? Qui peut rêver d’embrasser un squelette ? Le peintre François Boucher disait "On ne doit presque pas se douter qu'un corps de femme renferme des os ; sans être grosses elles doivent être potelées, délicates et de fine taille sans être maigres. Sur plusieurs centaines que j'ai fait déshabiller, je n'en ai trouvé qu'une seule qui possédât ce haut degré de beauté."

Et pourquoi ces regards pleins d’ennui et ces mornes allers et retours sur des estrades violemment éclairées ? Selon moi ces mises en scène prétentieuses et monotones ont pour seul objet de distinguer les défilés de "haute couture" des revues de cabaret dont les danseuses exhibent elles aussi leurs cuisses et leurs seins, mais de façon moins puritaine et moins hypocrite.

En ces premiers beaux jours du printemps, j'oublie ces anorexiques professionnelles pour me réjouir les yeux de chair adolescente. La rue se moque des podiums et des spots, ainsi que des tenues aussi coûteuses qu’immettables. Car il suffit d’un jean un peu serré pour faire surgir sous un tee-shirt coquinement trop court un joli bourrelet de chair blanche agrémenté d'un pseudo-tatouage imprimé. Les magazines prétendent que ces charmantes poulettes se mettent au régime dès 12 ans, mais j'en vois plutôt qui se gorgent de glaces et de cacahouètes. Très jeunes, elles promènent des seins valseurs qui ont poussé très vite grâce à la pilule, ou bien des seins fugueurs qui cherchent à s’échapper de la prison de soutiens-gorges à dessein trop petits. Leurs cuisses charnues tendent le tissu presque transparent de leurs pantalons blancs, et leurs fesses rondes, qu’aucun élastique ne dépare, attendent une bonne fessée qui sera suivie de caresses consolatrices.

Les femmes s’inquiètent de la cellulite bien avant d’être semblables aux délires de Rubens. Elles pensent être plus attirantes si leur corps sont lisses comme ceux des publicités d’eau minérale ou de yaourt. Quelle erreur ! Ces corps impersonnels et interchangeables ont peu d’attrait. Ce qu’un photographe publicitaire s'évertue à effacer en travaillant ses images à l'ordinateur est aux yeux d’un amant une attachante particularité physique.

Une amie se lamentait de ce que la peau transparente de ses gros seins de rousse laissait voir un réseau de veines bleues. Je l’ai assurée, sans peut-être la convaincre, que ces dessins, subtils comme ceux d'une porcelaine de Chine ancienne et patinée, ajoutaient à son charme (lui dire, même si je le pensais, qu'ils " faisaient tout son charme " aurait été bien maladroit) et qu’elle devait au contraire porter les décolletés les plus amples.

 -- Pour satisfaire les pervers dans ton genre ?

Il n'y aucune perversité à souhaiter admirer la beauté d'une femme. Notre relation ne va pas durer longtemps, et je vais perdre le plaisir de contempler et de palper ses seins magnifiques.

La cellulite est une grande source d'angoisse féminine. Pourtant, elle donne du caractère à la cuisse. Sa vibration témoigne de la jouissance qui monte, irrésistible comme la marée. Elle invite à pincer, à mordre, à pétrir la cuisse plutôt qu'à la contempler de loin. Elle réveille chez l'amant ses instincts cannibales et son goût de la chair femelle, grasse et odorante.

Imaginons que dans un triste futur, les femmes soient devenues très minoritaires par suite de néfastes mutations génétiques. Des poupées robotisées les remplaceraient, fabriquées en grande série, pour éviter que les hommes ne dépriment et que s'effondre la production. Ces femmes artificielles et parfaites matérialiseraient les filles de magazines aux corps lisses et aux seins siliconés. La cuisse celluliteuse serait alors la preuve que l'on tient dans ses bras une rare et vraie femme.

La beauté parfaite, celle des statues de déesses orientales, lorsqu'elle s'incarne par une sorte de miracle, intimide car on ne se sent pas à la hauteur. Toi, peut-être, lectrice ou lecteur, mais moi certainement pas.

Il y a loin du maquillage à la beauté, contrairement au discours publicitaire. C'est d'ailleurs ce que le terme français révèle car maquiller veut dire aussi truquer, et bien au delà de la simple "réparation des outrages du temps".

Je vous livre un souvenir de mon enfance. Ma tante portait toujours des colliers voyants de pierres brillantes et colorées qui coulaient entre ses gros seins. J'aimais bien sa manière chaleureuse de m'embrasser, mais elle utilisait malheureusement un rouge à lèvres très malodorant qui "laissait des marques" qu'elle s'appliquait ensuite à m'enlever en me frottant la joue avec un mouchoir. Cela me gâchait tout le plaisir de ses baisers et me faisait regretter qu'elle ne m'embrasse pas de manière plus intime et plus naturelle. Cinquante ans après je conserve encore le souvenir de l'odeur de son rouge à lèvres, associé à mes premiers émois érotiques. Pourtant, je n'ai plus senti depuis longtemps cette odeur car l'industrie du cosmétique a bien progressé.

La coiffure élaborée donc fragile, tout comme le maquillage semblent être faits pour tenir à distance. On n'ose pas s'approcher de peur d'abîmer une œuvre d'art éphémère.

Quand ma femme revient de chez l'une de ses nombreuses coiffeuses, elle m'interroge toujours avec angoisse sur la qualité du travail. Je dois non seulement lui dire que c'est réussi, mais je dois en plus en fournir les preuves "objectives" qui vont l'assurer que je ne dis pas cela "juste pour lui faire plaisir". Mais tout cela est vain, car c'est quand elle sort de son lit, ni coiffée ni maquillée, qu'une femme est la plus belle.

 Alain Valcour