La panne
par Alain Valcour
Farce érotique et tragique en deux scènes.
Personnages : un couple, 30-40 ans
Scène 1 :
L’homme est assis à une table. Il écrit quelques mots, il froisse
la feuille, la jette au panier. La femme
entre.
F : Pourquoi cette page blanche ? Et cette corbeille qui déborde ?
H : Une panne !
F [ironique] :
Une panne d’écriture ! … Comme si ça ne suffisait pas des pannes de
lit !
H : Bon, ça va ! Je dois me concentrer.
J’ai promis à François une nouvelle érotique de 800 mots pour sa revue porno.
F : Ah bon ! C’est toi l’alibi culturel de
son torchon !
H : Oui, en un sens !
F : Et ça ne vient pas ! Le syndrome de la
page blanche ! L’angoisse des écoliers et des auteurs amateurs ! Ta
banquière va encore penser à nous à la fin du mois ! Mais si elle ne t’inspire
pas, moi je peux ! Regarde ce que ma mère m’a offert !
Elle
montre une boîte à couvercle transparent qui contient un soutien-gorge et un slip en dentelle
noire.
H : Ta mère ? Tu te fiches moi ! Ce
n’est pas un cadeau de mère ! C’est d’un amant ! [sarcastique] Ou de ton chef de bureau
qui espère un retour en nature !
F : Non, c’est bien de ma mère ! Tu ne
t’es pas aperçu que les temps changent ? Et que les relations entre mères
et filles changent aussi ! Je vais
l’essayer, ça te donnera des idées.
Elle
sort. L’homme écrit quelques lignes et jette la feuille à la corbeille. Sa
femme revient, en slip, soutien-gorge, bas noirs et chaussures à talons qui
claquent. Elle prend des poses aguicheuses, elle minaude et montre ses fesses.
F : Mes cuisses, tu les aimes, mes
cuisses ?
H : Oui.
F : Et mes seins, tu les aimes, mes seins ?
H : Oui-i-i … !
F : Et mes fesses, tu les aimes, mes fesses ?
H [légèrement agacé] : Mais
oui ! J’aime tous tes morceaux,
donc je t'aime ! Mais ce n’est pas ça qui …
F : Mais si ! Imagine que je suis une
gamine de 14 ans.
H : En bas noirs ?
Elle
vient s’asseoir sur ses genoux.
F : Tu caresses mes cuisses soyeuses. La où
c'est tiède, au dessus des bas.
Elle
lui prend une main et la glisse entre ses cuisses.
F : Je fais semblant de résister, mais tu
insistes.
L’homme
suit mollement les instructions. Elle gémit de façon exagérée.
F [voix
enfantine] : Tonton, regarde mes seins. Regarde comme ils sont ronds et
fermes ! Pince-moi les tétons ! Ils aiment ça, ils vont bander pour
toi, mon Tonton chéri.
Elle
dégrafe son soutien-gorge et libère ses seins. L’homme pince un téton, sans
enthousiasme.Elle lui tâte le sexe.
F : Tonton, comme tu bandes bien! Qu’est-ce que
tu me donneras si j’te suce ton gros sucre d’orge ?
H [sérieux]:
Une fessée, sur tes fesses nues !
F [voix
enfantine] : Oh oui, Tonton, une bonne fessée sur mes fesses de p’tite
cochonne ! Pour qu'elles soient bien toutes rouges. Et pour me faire très
mal, tu enfonceras deux gros doigts dans mon petit trou du cul ! Ma copine
Sarah, elle y met un seul doigt bien léché dans mon trou, et j’ai pas
mal ! Et tu mettras ton gros bâton gluant dans ma p’tite chatte. Elle est
bien étroite ma p'tite chatte ! Et tu iras doucement mon Tonton chéri,
pour que j’aie pas mal. J'suis toute neuve, tu sais. Y'aura du beau sang rouge
vif qui va couler mélangé à ta liqueur, et j'garderai tout ça précieusement
dans un mouchoir en soie. Et Maman, elle en saura jamais rien ! Ça sera
notre secret à nous deux, à toi mon gros Tonton baiseux et à ta p’tite gazelle
innocente.
Elle
embrasse l’homme goulûment.
F [voix
normale ; déçue] : Et bien, tu ne bandes pas ! Ça n’t’excite
pas ? Qu’est-ce qu’il te faut
? … Tu m’aimes plus ! … J'aimerais bien savoir à quoi tu penses, le
soir, quand tu te branles, pendant que moi, je m’ennuie devant la télé, à
regarder des « débats » stupides !
H : Mais je ne me branle jamais !
F [rire] : Et les traces jaunâtres dans
les draps ? Tu me crois aveugle ?
H : Laisse-moi me concentrer, je dois écrire.
Pour François … et pour la banque…
F : Pour ta banquière !
Noir
Scène
deux.
La
femme tricote, assise dans un canapé. L’homme entre au salon.
H : Bon, ça y est, c’est vendu !
F : Tu me la montres ?
Il
lui tend des feuillets qu’elle commence à lire en silence. Puis, furieuse, elle
lit tout haut et commente.
F : Comme ça tu la déshabilles
« lentement en posant un baiser sur chaque centimètre de peau mise à
nu » ! Avec moi, ça n'est pas comme ça. Je vois que tu me
trompes !
H : Mais non, c’est une invention.
F : Alors pourquoi avec moi c’est toujours
bouclé en dix minutes ? Puisque tu as tant d’imagination érotique, tu
pourrais m'en faire profiter !
H : On est souvent fatigués !
F : Toi, oui, mais pas moi ! « La
fragrance de sa peau noire m’étourdit » Comme c’est beau ! « La fragrance », c’est plus chic
que «l’odeur » ! » Et c’est
une africaine en plus !
H : Et alors ?
F : Tu avoues !
H : Non, c’est le narrateur qui raconte, pas
l’auteur. Et en quoi ça serait pire avec une africaine ?
La femme lit en silence.
H : Cette histoire, c’est une invention, pas un
récit vécu.
F : Pourtant ça y ressemble fort. Du cul bien
glauque ! Et ça : « ma langue se délecte dans la moiteur musquée de
ses aisselles. » Tes prétendus fantasmes sont plutôt crades !
H : C’est un texte de commande, pour François.
Pour la banque.
F : Elle a bon dos la banquière. C’est elle qui
t’a fait écrire : « mes baisers de chiot fou
s’éparpillent » --
« s’éparpillent », ça c’est bien trouvé ! – « s’éparpillent et cavalent de ses
seins moelleux à son cou tiède où palpite son sang de panthère noire en
chaleur, à ses paupières qu’elle clôt pour mieux goûter le plaisir que je lui
apporte » – prétentieux va ! qu’est-ce que tu en sais, elle est
peut-être pressée d'en finir de tes merveilleux « préliminaires » comme disent les sexologues -- « à ses
bras potelés et à ses grands tétons qui émergent de grandes et sombres
aréoles, que je mordille délicatement en
espérant toujours qu’il en sortira une goutte de lait. » Mon cochon, tu t’es branlé en écrivant tout
ça ? En tout cas, ce n’est pas moi qui t’ai inspiré !
H : J’ai quand même le droit de …
F : Tu ne publies pas ça sous ton nom au
moins ? Qui depuis 15 ans est aussi le mien !
H [las] :
Non bien sûr !
Elle
lit la suite en silence. Puis explose encore.
F : « le rose éblouissant de sa muqueuse
vaginale qu’elle frotte à mon nez et y répand sa liqueur sucrée dont ma
langue s’emploie à récupérer la moindre
goutte. »
Oh les belles phrases bien balancées ! Comme
ses seins et ses fesses ! Et ça ! Monsieur fait le poète !
« Ma dévoreuse,
tu me lèches,
tu me suces,
tu m'agaces,
tu me mordilles.
Dans mon gland violacé, gonflé, impatient de
pénétrer ta chatte … »
Elle
déchire les feuilles et quitte la scène.
H [il récite
son texte en regardant fixement, rêveur, une spectatrice] :
Ma dévoreuse,
tu me lèches, tu me suces, tu m'agaces, tu me mordilles. Dans mon gland
violacé, gonflé, impatient de pénétrer ta chatte visqueuse, tu plantes tes
dents acérées comme pour en faire jaillir mon sang bouillonnant du désir de
toi.
Ma dévoreuse, tes
doigts féroces me pétrissent et, sans pitié,
cherchent à me vider de mon
sperme et de ma vie, que j'offre entière à ton plaisir de panthère noire en
rut.
Infernale folie,
ivresse de ta chair odorante et de ton miel qui coule dans ma gorge en un filet
régulier, tu m'envahis, tu me pénètres, tu me possèdes, ô ma vampire,
insatiable de ma chair, de mon sang et de mes pensées ivres qui voguent à la
dérive, portées par un fleuve impassible jusqu'au fracas du niagara où il va me
précipiter.
C'est toi mon niagara,
cet abîme où s'anéantissent mes idées les plus solides, où le bonheur d'être
avec toi m'engloutit...
La femme revient, ses talons claquent.
Elle est nue, un très grand couteau de boucher à la main. Elle le pointe vers
le ventre de l'homme.
F. : Tu vas me baiser ! Tout de
suite ! Et si tu n'y arrives pas aussi bien qu'avec ton africaine, je te
débarrasse de tes couilles qui ne me serviront plus à rien !
La femme le pousse hors de la scène avec
la pointe de son couteau. Ils sortent. La lumière ne baisse pas. Deux longues
minutes de silence. Puis on entend, dans la coulisse, un grand cri d'homme.
Noir final.