Quand Elle parle à son
miroir, Elle nous appelle "ses oiseaux". Elle nous caresse, Elle nous parfume,
Elle nous poudre. Elle agace nos "becs", comme Elle dit, et Elle les fait
se dresser pour mieux les masser. Elle les rehausse de fard brun pour les
rendre bien visibles à travers la laine fine de Ses pulls.
Nous sommes fiers d'être
les seins d'une belle femme. C'est nous qui attirons l'attention sur Elle.
Certes, nous ne sommes pas seuls responsables de Ses succès. Ses
jambes sont longues et finement musclées. Elle les montre volontiers,
ainsi que Ses fesses, qui apparaissent rondes et dures, à travers
le tissu souple de ses pantalons ajustés. Ses cheveux d'eurasienne
sont noirs et brillants, mais c'est nous qui Lui attirons d'emblée
la sympathie des hommes.
Elle est fière de nous. Elle aime nous laisser entrevoir sous des chemisiers de soie grège presque transparente, ou par des échancrures et des décolletés insolents. Elle s'amuse à surprendre les regards caressants des hommes, et ceux des femmes, pleins d'envie.
Elle nous laisse libres de chahuter. Elle ne nous emprisonne pas dans ces douloureuses camisoles que sont les soutiens-gorges, comme le font ces femmes hypocrites qui punissent leurs seins de faire rayonner leur corps, et de susciter le désir dont elles sont pourtant si heureuses, même si elles refusent de se l'avouer.
Nous sommes Ses éclaireurs. Elle cambre le buste, Elle nous projette en avant et nous fendons la foule devant Elle.
Les premières caresses
de Ses amants sont pour nous. C'est une grande joie que de sentir approcher
leurs mains émues. Elles se glissent amicalement sous Son pull,
et montent doucement pour faire notre connaissance, en prenant bien garde
à ne pas nous effaroucher, comme si nous risquions de nous envoler.
Leurs mains jouent avec nous, nous soupèsent, apprécient
notre fermeté, nous pétrissent délicatement comme
des boules de pâte à pain et nous forment à leur goût.
Quand elles s'emparent de nos pointes dressées, nous savons que
le grand jeu va bientôt commencer. Nous allons agacer de nos becs
la poitrine de l'homme, nous allons les mêler à ses poils
moites de sueur mâle dont la fragrance nous enivre, pendant qu'Elle
et Lui vont s'étourdir de baisers.
Nous aimons les soirées chics. Elle nous exhibe dans de profonds décolletés. Elle laisse couler entre nos globes triomphants la double rangée d'un collier de perles qui brillent doucement sur Sa peau mate, nous chatouillent et nous mettent les nerfs à vif en prélude à d'autres caresses. Nous chahutons avec Elle au rythme de ses danses, et lorsqu'Elle se repose essoufflée, nous luisons comme de vieux cuivres sous la lumière tamisée. Nous cherchons à percer le tissu de Sa robe. Nous attendons qu'Elle s'écarte dans un recoin obscur pour une conversation à mi-voix. Nous guettons les caresses frôleuses et les pinçons amicaux qui feront bientôt crisser la soie.
A. Valcour