Marcel Moreau  :  Sacre de la Femme




Dans mes meilleures lectures érotiques, je place les ouvrages de Marcel Moreau, dont certains sont fort heureusement réédités tels : « Sacre de la femme », Ether Vague, 1991-1999, « Julie ou la dissolution », Labor, 1971-2003. Je vous propose quelques extraits du premier.

L’érotisme pour M. Moreau relève du Sacré, un sacré qui récuse toute religion, tout péché, toute culpabilité et qui se tourne résolument vers la vie.
M. Moreau n’est pas obsédé par la mort, il est seulement fasciné par la « dissolution », ce terme revient souvent sous sa plume. Il ne recule pas devant les rêves « inavouables », et les pulsions secrètes dont il fait la matière d’une prose poétique et créatrice.

Le terme « sacré » est ici à sa juste place, alors qu’il est utilisé couramment à tort et à travers. Ainsi, la radio parle de « musique sacrée » au lieu de « musique religieuse » et d’Untel ou d’Untelle, « sacré(e) champion(ne) du monde » de ceci ou cela ou « sacré(e) chef(fe) de tel parti, ou président(e) de telle assemblée ».

Sacre de la femme - Extraits



Plus le corps est héritier d'une éducation stricte, à la fois sportive, morale et hygiénique, plus le culte que je lui rends l'entraîne dans l'abolition des convenances. Il y a une saveur particulière à pénétrer ce corps - au physique cela va de soi, mais aussi de l'idée que de préférence à tout autre il vaut d'être envahi partout où cela est possible ; j'entends par-là qu'il n'est pas jusqu'à sa rumeur fécale qui ne passe comme un prodige de succulence sur les papilles surlubrifiées.

C'est ainsi que je t'adore : belle et pantelante, dans des glissements d'incongruité. Si tu as quelque chance de demeurer en ma mémoire c'est aussi comme femme de transgression, s'arrachant nue, échevelée à son passé, démone mouillée réclamant d'un râle, à mes gestes pourtant actifs, un surcroît de témérité.

Nous sommes en août et tu es sur le ventre dans le torride d'un lit. Par la fenêtre ouverte, le soleil ajoute à la brûlure d'amour sa morsure presque intolérable. Nous séchons nos sueurs à son feu érotique. Et même sa lumière est vénérienne de toi et de moi. Ma tête posée sur tes jambes qui tremblent monte lentement vers ta splendeur charnue. Bientôt, d'une simple pression du doigt sur l'une de tes cuisses, je t'entrebâillerai là où s'exaspère par abondance de velours la cérémonie du baiser. Dans la fente maintenue fiévreusement bée, je recommencerai à vouloir mourir pour une paire de fesses. Et toi tu te souviendras que c'est ici que finit l'éducation due aux jeunes filles de bonne famille. (p.54-55)

La « dissolution » :


Je souhaite à tout homme de qualité de connaître au moins une fois dans sa vie cette femme dont la beauté n'a d'égale que son pouvoir de dissolution, sa fascination pour le tragique; Vivre en danger de mort à ses côtés, cela fait partie des fabuleux frissons par quoi s'intensifie le sentiment d'exister : je veux dire de ne pas exister pour rien. Goûter à l'une seule d'entre celles par qui de tels vertiges arrivent, c'est déjà glisser avec elle sur des marches dont nous ne voulons pas savoir si elles mènent à un lieu d'épouvante ou à un royaume d'ébriété. Cette incertitude est parfois la condition même de la volupté d'être. (p.58-59)

Sur le travail de l’écrivain :


Une des grandes causes de la souffrance des hommes est le ghetto où, par la faute de l'hypocrisie sociale, se trouve enfermée leur parole profonde, celle-là même qui tire tout sa puissance des désirs les plus inavouables, des rêves les plus insensés, des tentations les plus scandaleuses.

Dans la plupart des cas, cette « rétention de mots » transforme en cloaque l'arrière-pensée, en malaise ou en désespoir l'existence. A cet égard, la sincérité du créateur verbal, lorsqu'elle est injugulable ou s'exténue à l'être, est sinon salvatrice, du moins libératrice.

Devant la poignée de perturbés qui me font confiance, je n'attends, moi, que le plaisir de leur liberté d'expression enfin débondée, en échange de l'hospitalité sans nuances de mon entendement. Envers eux, mon attitude est simple : j'ai non seulement la faculté de me mettre en état de bienveillance stimulante, mais aussi de refaire à leurs côtés le chemin qui va du monde informulé qui les ronge au premier cri subversif qui les soulagera (je ne procéderais pas autrement si j'étais visiteur de prisons).

Bref j'ai le plus grand respect pour la face obscure des individus, je n'ai de respect et d'attention que pour elle, puisque ce n'est que d'elle que nous tirerons l'un et l'autre notre vertige, le vertige de la vérité.

Je ne crois pas agir ainsi soit par calcul, soit sous l'effet de quelque morbide curiosité. Je ne crois pas davantage jouer les généreux. Mais sachant d'où je viens, d'une longue, tenace, douloureuse et furieuse prospection des abîmes, je n'ai pas le droit d'oublier que quelques-uns se sont reconnus dans les divers visages que j'ai pu donner de mon moi ravagé. (p.154-155)

Eloge du périnée


C'est avec une délectation rarement démentie que je parcours un périnée de femme. Le périnée est ma promenade favorite. J'aime faire cette navette cent fois, j'aime porter au centuple le double affolement langue-narines. Rien ne me paraît plus sacré alors, que ce pèlerinage lyrique ou retenu, aux sources de la vie, rien ne me paraît plus fabuleux que ce va-et-vient de muqueuses entre sphincter et lèvres.

Plus j'éprouve de passion pour la personne qui m'abandonne son Périnée, moins je suis regardant sur son hygiène secrète. Il s'agit dans tous les cas que celle-ci préserve l'effluve naturel, qui semble fournir son immensité à l'aire de lèchement et son acuité à la jubilation du lécheur.

Le Périnée est cet endroit du corps adoré où se ramasse en un geste infatigable, inlassablement maniaque et pourtant toujours émerveillant, l'ensemble des pratiques constituant le culte amoureux. Cette zone où la densité des fermentations intimes n'a d'égale qu'une extrême concentration des sites érotiques me restitue, dans la pureté de ses origines, le premier des aphrodisiaques.

Lorsque la rondeur des fesses est sans défaut, et béamment dégagée la fente d'où elles s'élancent en courbes admirables, l'excitant atteint à la perfection. Ainsi écumé, ce lieu, plus encore que les yeux de la femme et au même titre, parfois, que sa bouche en voracité, nous rapproche, en une sorte de violence ravie, du centre mystérieux de ses instincts. La courte distance qui sépare les deux orifices ne doit pas nous tromper sur l'ampleur des visions et des sensations que nous devrons à l'acte qui consiste à les unir dans le même festoiement.

De toutes les composantes de la sexualité, la pulsion périnophile est certainement, à mes yeux, à mes sens, la plus troublante. Sans avoir l'éclat vertigineux du coït, elle se charge des sombres mais radieux privilèges attachés aux émois hérétiques.

De toutes les démarches qui conduisent à une perception enivrante de la vie, elle est celle qui résume le plus fidèlement le pouvoir visible et invisible du corps aimé, ses odeurs, ses humeurs, ses couleurs fondues dans un même blason.


Le périnéisme n'est pas une perversion. C'est tout au plus une pulsion primaire s'accomplissant dans l'intelligence des sens. Avec l'amour du Périnée, nous participons d'une prédilection subtile entre toutes, si grossière puisse-t-elle apparaître aux yeux des gens de savoir-vivre.

Même lorsque cette activité s'exerce en profondeur, avec une patience hallucinée, elle est encore une exaltation des
parages, une célébration de la périphérie en vue d'une descente plus sûre vers le centre, un art de deviner, de pressentir sous la chair ainsi ensalivée et langouillée la proximité de ce que la femme possède au plus haut degré : la puissance de vie.

Ce qui me frappe, c'est la vieille distorsion fesses-anus. On admire les premières, on hésite ou recule devant le second. Voilà pour l'hypocrisie. Pourtant l'évidence solaire des fesses s'exalte à la dissimulation de l'anneau contracté.

Dans le périnéisme, l'homme ne pense qu'au plaisir qu'il donne comme à celui qu'il reçoit, mais indirectement il rassure l'aimée, dont il entend ainsi sacraliser tous les aspects. Il n'est rien d'elle qui doive être repoussé, il l'enferme dans un hommage qui sera exhaustif ou ne sera pas.

Le périnéisme boucle la boucle de l'adoration. Il en clôt le rituel par un acte oublieux des bonnes manières, de la civilisation. (p.80-83)

Note : On ne saurait parler de la Feuille de Rose avec plus d’élégance et de lyrisme  (A.V.).